biographie de boris gamaleya

Boris Gamaleya est né le 18 décembre 1930 à Saint-Louis de La Réunion d’une mère créole et d’un père ukrainien tôt disparu dont la destinée singulière est traitée dans son «roème» (roman poème) L’île du Tsarévitch(1998). Ses quatre premières années lumineuses à Makes sont l’un des fils rouges majeurs de son œuvre.

Boris Gamaleya bébé

Après cette petite enfance trop tôt rompue, Boris grandit à la Rivière Saint-Louis auprès de ses grand-oncle et tante. Adolescent tourmenté, il est marqué par sa découverte des œuvres de Leconte de Lisle. Suivent des études secondaires comme boursier au Lycée Leconte de Lisle à Saint-Denis de la Réunion, —période de ses premiers écrits poétiques (1er poème Les deux grenouilles (Inspiré d’une fable américaine) publié dans Le Peuple  par Louis de Gamaleya ( 13 fev.1948); L’étoile qui s’en va publié dans  La Démocratie (26 mai 1947) ; deux autres, Histoire d’un ermite, 4 janvier 1949, et  Sonnet un peu païen , 2 mars 1949,  publiés dans Le Peuple ). Puis dès 1950, il entreprend des études supérieures dans l’hexagone (Avignon, Aix en Provence, Paris) jusqu’à l’obtention d’une licence de russe à la Sorbonne. Il y découvre notamment les poésies de Césaire et de Saint John Perse.

Clélie et Boris Gamaleya à Aix vers 1953

À son retour dans l’île en 1955 avec sa femme Clélie, professeure de lettres, et leur fille Ariane, il enseigne le français,  publie poèmes et essais dans la presse et commence la collecte de la culture orale réunionnaise.La famille du couple Gamaleya s’agrandit avec la venue de trois autres enfants (Nadia, Serge, Tatiana) jusqu’en 1960, puis de Ketty en 1972.

Boris Gamaleya et ses enfants vers 1960

Le temps des combats

Engagé dès 1959 auprès du parti communiste réunionnais, il connaît les rudes combats contre la fraude électorale marqués par une extrême violence qu’il rappellera dans son long poème-hommage à François Coupou et Rico Carpaye ( La Mer et la MémoireLes Langues du magma (1978), pages 63-63). Il est muté d’office en région parisienne au titre de l’Ordonnance dite «Debré» (15 octobre 1960), exil qui durera douze ans (Cf. «Les exilés de l’ordonnance du 15 octobre 1960. Retour sur une tragédie post-coloniale à la Réunion», Monique Payet-le Toullec, Orphie, 2018).

«L’Ordonnance scélérate» (terme d’Aimé Césaire) dit la violence et l’injustice d’un pouvoir colonial qu’il combat désormais en région parisienne au sein de l’UGTRF co-fondée par Gervais Barret écrivant dans « Nous créoles » pour la diaspora réunionnaise.

Les exilés de “l’Ordonnance Debré” : Roland Robert, Clélie Gamaleya, Max Rivière, Boris Gamaleya, Gervais et Nelly Barret, Pierre Rossolin, André Le Toullec. Paris, 6 septembre 1961

Durant cet exil de douze années, il commence l’écriture de ses poèmes d’exil et de combat qui seront publiés plus tard. Quelques extraits de Vali pour une Reine morte paraissent dans des revues  (Réalités et Perspectives réunionnaises (septembre 1969) ou journaux (Témoignages, 1971 «Maronia» devenant le poème ultime de Vali pour une reine morte), il entreprend des recherches sur le lexique de la langue créole dont les résultats seront quotidiennement publiées de 1969 à 1976 (Témoignages). Après une grève de la faim collective (janvier 1972) qui entraine l’abrogation de l’Ordonnance Debré, il rentre à la Réunion et publie en 1973 son premier ouvrage, Vali pour une Reine morte qui fera date dans la littérature.

Vali pour une reine morte, 1973

Ce retour dans l’île est pour Boris l’occasion de poursuivre la collecte auprès des conteurs réunionnais, d’une très grande partie de leurs trésors oraux. Il publie des contes animaliers en 1974 dans la revue Bardzour Maskarin. Par ses écrits dans plusieurs revues (Bardzour, Fangok, Réalités et perspectives réunionnaises.) et des journaux (surtout Témoignages) il anime un cercle de jeunes intellectuels et poètes réunionnais passionnés par les recherches mettant à jour et valorisant leur identité créole.

Revue Bardzour

Le combat est encore au coeur de son second recueil La Mer et la Mémoire, Les Langues du magma (1978) qui narre les fureurs de l’histoire du XXe siècle, de la révolution bolchévique jusqu’au tournant des années 70, aussi bien dans le monde qu’à la Réunion, territoire blessé par la violence politique que le poète dénonce avec des accents épiques. Entrelacé à ce récit collectif, se déroule le récit individuel du poète à la recherche de son histoire personnelle intimement liée à la nature, les sons de toutes sortes à commencer par le chant des oiseaux qui révèle puis rappelle constamment à Boris sa mission de poète.

Photo Claude Testa, 1978. Coll. Bibliothèque départementale de La Réunion

La quête

En 1980, c’est la rupture : Boris s’éloigne du PCR et du militantisme ; il annonce dans Le Volcan à l’envers, madame Desbassins, le diable et le bondieu (1983), par la voix de Simangavole, « l’AUBAINE DES CONTRAIRES » (Le Volcan.. p.222). Cette position quasi philosophique lui permet de porter son engagement sur le terrain d’une «géopoétique» étendue au monde entier en commençant par l’Indianocéanie d’où proviennent les ancestralités réunionnaises. A la recherche d’un absolu en symbiose avec son environnement culturel pluriel, il écrit le recueil de poésies Le Fanjan des pensées. Zanaar parmi les coqs (1987), dédié au poète malgache Jean-Joseph Rabearivelo; Zanaar, (le dieu des ancêtres de la Grande île), en constitue une figure centrale.

Libéré alors de ses obligations d’enseignement, il décide avec Clélie de s’installer à la Plaine des Palmistes (1990), à flanc de rempart, lieu propice au développement de son imaginaire.

Boris Gamaleya à la Plaine des Palmistes, 1995. Le Quotidien de La Réunion, Coll. Bibliothèque départementale

Il approfondit son expérience d’une « cosmopoétique » originale rattachée aux entreprises spirituelles universelles: présocratique, chrétienne, soufie, hindoue, chinoise, japonaise (Patrick Quillier «Boris Gamaleya, les polyphonies de l’extrême», 2011, Sépia) et met ses mots en résonnance constante avec la musique qu’il écoute passionnément, mais aussi avec le dessin, la photographie.  Piton la nuit (1992) est l’expression parfaite de ces premiers temps de recherche à la Plaine, une expression à la tonalité sombre, entre la nuit ténébreuse et la pointe du jour annoncée par le chant du coq.

Une fois la lumière faite, Lady Sterne au Grand Sud (1995) exalte une femme-oiseau, une femme-île-nature au chant mélodieux nous portant vers un monde féérique, celui d’un mythe austral à créer qui entraine le poète tourmenté loin des ténèbres pour trouver l’île écriture, la seule qui vaille de vivre.

Depuis le début, le thème de l’enfance, la recherche de ses origines est au cœur des pensées et préoccupations du poète, soit comme un récit structuré dans La Mer et la Mémoire, soit comme une injonction dans Le Volcan à l’envers (qui se termine sur « L’enfance continue »),  soit encore comme un motif de broderie dans Piton la nuit ou Lady Sterne… Avec L’île du Tsarevitch (1997), c’est tout un «ro-ème» consacré à la recherche de son père et plus largement à sa double origine slavo-créole, «monument contre l’oubli» ou encore «odyssée de la rédemption» selon Danièle Deltel,  où l’on lit l’affirmation très nette de sa foi, de tendance orthodoxe.

Dans ce contexte général, Boris Gamaleya reçoit une commande de l’Etat (DRAC) à l’occasion du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Cela prendra la forme du livret d’un Oratorio Ombline, ou le volcan à l’envers (1998), synthèse de sa pièce de théâtre de 1983. Ce livret mis en musique par Ahmed Essyad est magnifiquement représenté et joué au grand auditorium de Radio France par son orchestre philharmonique le 18 décembre 1998.

L’Arche

Le «roème» L’île du Tsarévitch et l’Oratorio, chacun à leur manière, sont des épreuves libératrices. La quête du poète a pu identifier ses entraves, les explorer, les affronter et les dépasser par la force de l’écriture. Dès lors, tout est redevenu possible, et d’abord une déconstruction maximale de son univers imaginaire.

Cette libération va s’incarner dans l’aventure de L’Arche du comte Orphée ou Les ailes du naufrage  (2004), aventure jubilatoire de «l’arche des civilisations» inspirée bien sûr de la Genèse (le déluge) et du mythe d’Orphée, mais surtout malaxée avec l’inventivité linguistique et la culture insatiable si caractéristiques du poète, et joyeusement animée par tout son bestiaire. La prose «en tourbillons comme autos en folie» s’en donne à cœur joie ! «Arche vole ! Ta pensée élude mon rêve de turbulence» : c’est Boris qui métamorphose le monde.

Vent d’ailes, 2005

Ce motif de «L’Arche» figurera désormais dans ses autres textes à commencer par le recueil suivant, Jets d’aile. Vent des origines (2005) où le poète se déploie de l’île, puis de la mer vers le cosmos par la puissance et la grâce des « jets d’aile » des oiseaux. «Le poète de l’île-univers» (selon l’expression de Serge Meitinger) fustige ou moque les tenants d’une île refermée sur elle-même avec la gouaille de ses jeux de mots si foisonnants ou «cocophonies » tel ce « coq à l’âme pour une arche sauvé». Avec Gamaleya on se prend à rêver que cette Terre malmenée par les hommes inconscients de l’harmonie entre le vivant et la matière peut être sauvée par la puissance des vols et chants d’oiseaux qui pourraient unir le proche (l’île) et le lointain (le monde et ses multitudes de langues et cultures) dans un seul cosmos.

Ces années 2004 -2005 sont foisonnantes et fécondes à plusieurs titres, d’abord par l’édition des deux recueils majeurs que l’on vient de citer mais aussi par la reconnaissance hexagonale et européenne dont Boris fait alors l’objet. L’université de Nice, sous la houlette de Patrick Quillier, organise les 25-27 novembre 2004 le colloque «À ciel ouvert avec Boris Gamaleya» suivi de performances artistiques sur et avec le poète, colloque associant plusieurs intervenants venus de France, d’Europe et de l’Océan Indien (Cf. :«Boris Gamaleya, les polyphonies de l’extrême», sous la direction de P. Quillier et D. Ranaivoson, SEPIA, 2011)

Marché de la Poésie. Paris, 2005

Huit mois plus tard, Boris Gamaleya  est  présenté le 21 juin au Centre national du Livre avant d’être accueilli comme invité d’honneur du 23 au 26 juin au célèbre Marché de la Poésie, Place Saint-Sulpice, à Paris, et enfin à la Maison de la Poésie, le 26 juin.

L’influence de Boris Gamaleya

À La Réunion, depuis les années 1990-2000, plusieurs artistes s’emparent de son œuvre pour lui redonner vie, et surtout commencer à la populariser. C’est le cas en littérature — en poésie tout particulièrement —, en peinture, en sculpture, en musique enfin.

Peinture par William Zitte, 1993. Coll. J. Mathet-Payet. Photo : B.Rual

L’un des moments forts de ce rayonnement est sans conteste la fête donnée le 18 décembre 2010 par la maire de Saint-Paul Huguette Bello pour les 80 ans du poète. Une rencontre poétique entre Boris Gamaleya et (Monseigneur) Gilbert Aubry est organisée avec une mise en musique et voix des textes des deux poètes par Filip Barret.

—> rayonnement littéraire et artistique

Météore

Ces années d’une première reconnaissance par les publics universitaires, intellectuels et artistiques de l’oeuvre de Boris Gamaleya en France et d’un élargissement de sa renommée à La Réunion, stimulent la créativité du poète.

C’est en effet cette année-là que deux ouvrages majeurs paraissent, l’un publié en France Le Bal des hippocampes (Éditions de l’Amandier), l’autre à la Réunion, L’entrée en Météore ou l’étoile à double coq, sans oublier le numéro spécial de  la Revue Phoenix, Cahiers littéraires internationaux consacré à Boris Gamaleya (N°5 -Janvier 2012).

Dans Le Bal des hippocampes se poursuit une «danse de l’univers… récit spiralé et bouleversé» où le  «lecteur va de découvertes en illuminations»  avec le cri du coq, «éternel recommencement des matins du monde» selon les mots de Patrick Quillier, et le motif de l’Arche «maître mot de l’art poétique de Gamaleya» pour lequel la poésie a «mission de sauvegarde de tout ce qui est menacé de disparition en ces temps de déluge». Alchimiste des mots par lesquels les effets de résonance font figure de révélations, le poète fabrique un «mandala des étoiles», spirale et tour de Babel de mots et de sens, écrite avec une superbe légèreté. Et «L’île se rêve, métaphore incessante»….

Cette légèreté grandit dans L’entrée en Météore (2012). Les oiseaux, plus largement le bestiaire gamaleyen, les mondes lointains et proches de l’île, la lumière, les étoiles, l’univers sont le cadre toujours plus affirmé de la langue inventive, moqueuse et tragique à la fois du poète, déployée avec de plus en plus de liberté et de gaieté, le Divin n’étant jamais très loin…

Photo Rym Khene, 2016. “Cap sur le mouvement”

Et pourtant tandis que ces œuvres sont publiées se joue un départ – un autre exil … volontaire cependant… Les troubles de l’âge affectant Boris et singulièrement Clélie, le couple Gamaleya se décide à quitter La Plaine des Palmistes (et l’île) pour s’installer auprès de leur fille ainée à Barbizon. Boris reconstruit son antre, sa caverne de livres, de musique, de photos. Il poursuit là ses déambulations au cœur du langage, au cœur de l’absolu des êtres et des choses. La Réunion le salue en 2015, en tant qu’invité d’honneur des éditeurs réunionnais au 37e salon du livre de Paris.

Tout naturellement son « vavangage » le ramène aux Makes de son enfance qu’il évoque dans son dernier ouvrage: Terrain letchi, ou Piton Gora la douce chair des nombres. Plus bas que l’Éthiopie l’orthodoxie créole (2016).  C’est avec une infinie simplicité de mots et d’images, qu’il parvient à saisir l’insaisissable couleur, odeur, lumière de ses premières années, fondatrices de son œuvre entière. Une grâce particulière émane de ce recueil : « j’ai mal au temps demain cousu d’éclairnités /des sources de soleil /dorment sous les lataniers /n’ai-je point planté là cent fontaines…».

Cette même année a lieu sa dernière interview publiée par D. Delas, J-S. Macke, C.Riffard et H.Sanson tandis que Patrick Quillier signe un entretien acousmatique d’une très rare acuité.

Boris Gamaleya s’éteint paisiblement le 30 juin 2019 à Barbizon, entouré par les siens et quelques proches. «Lot koté la mer», un «kabar fonnkèr» s’organise très vite le 2 juillet à la Médiathèque François Mitterrand de Saint-Denis réunissant dans une grande émotion nombre de ses amis et admirateurs.