Le parcours de l’homme engagé pour l’identité culturelle réunionnaise, sa personnalité éclatante, ses discours enflammés ne laissent pas indifférents : il fait de nombreux émules mais il est aussi la cible de détracteurs acérés.
la langue créole
C’est en exil en France, entre fin 1960 et 1972 que Boris développe ses recherches sur la langue créole. Il écrit dans la toute jeune revue des étudiants réunionnais en France «Le Rideau de cannes» animée depuis 1961 par J.-C. Legros.
Sa formation en linguistique qu’il étoffe à Paris, lui permet d’approfondir ses analyses. Il proposera d’abord de mettre à jour le lexique du créole dans des fiches qui seront publiées régulièrement Témoignages pendant 6 ans (1969-1975).
Dès son retour à la Réunion mi-1972, il poursuit ses recherches avec un objectif de transmission. Le journal Témoignages sera son principal moyen de communication. En novembre 1973, il y publie une série d’articles sous le titre «Une langue à la recherche de son orthographe». A cette époque, même au sein du PCR, il y a discorde. Le Nouveau Progressiste (1974?), organe de tendance socialiste, présente côte à côte les thèses différentes sur la langue créole à la Réunion de Daniel Lallemand, Axel Gauvin et Boris Gamaleya, tous trois intellectuels engagés ou proche du PCR. Si Daniel Lallemand considère le créole comme un outil culturel chargé de faciliter l’accès des usagers à l’administration et un moyen pour les élèves d’accéder plus aisément au français par la création de méthodes adaptées, Boris et Axel partagent l’objectif d’un bilinguisme créole/français actif, pour «former un Réunionnais libre et responsable…».
Boris poursuit sur sa lancée ses travaux de fond sur la langue créole : en juin 1976, il publie dans Témoignages cinq longs articles titrés «le système du pronom personnel en créole». Cette cause de la langue semble avancer dans les années 1980 si l’on en croit Boris dans la revue Bardzour Maskarin où le créole bénéficie d’un «courant de sympathie générale» car correspondant à un «besoin profond de l’âme réunionnaise. Nous disons oui.. à la solution pacifique du bilinguisme»… Durant toutes ces années de 1973 aux années 80, et sur ces sujets de la langue, Boris entraîne autour de lui de nombreux jeunes intellectuels, parmi lesquels Axel Gauvin, Carpanin Marimoutou, Georges Gauvin.
Culture populaire et politique culturelle
Au delà de son travail sur la langue, Boris, porté dès les années 1950 par sa vive curiosité et son désir de sauver de l’oubli les traditions populaires s’est vite remis à recueillir des contes créoles ainsi que des sirandanes (charades) à son retour d’exil. Certains d’entre eux sont publiés dans la presse ou dans des revues, notamment des contes animaliers dans Bardzour Maskarin en 1974 ; d’autres seront plus tard édités.
La publication n’est pas chose aisée dans ces années-là. C’est une des raisons qui motivent la création en 1975 par Alain Gili de l’Ader (Association des écrivains réunionnais) dans le but de fédérer et de promouvoir la littérature contemporaine de l’île. Boris Gamaleya fait partie de cette association, maison d’édition réunionnaise perçue comme un véritable «vivier littéraire» rassemblant nombre d’écrivains talentueux.Il adhère plus tard à l’UDIR, autre association d’écrivains réunionnais créée par Jean-François Sam-Long. C’est l’époque faste des poètes, Boris Gamaleya, Alain Lorraine et Gilbert Aubry, chacun chantant à sa manière avec exaltation leur île et l’homme réunionnais.
L’ensemble des prises de positions de Boris Gamaleya basées sur des arguments scientifiques le porte à entrer dans des débats plus larges de politique culturelle. Ainsi en est-il quand à l’occasion du transfert des cendres de Leconte de Lisle à La Réunion en 1977, il prend la plume dans Témoignages (26 septembre et octobre 1977) pour ferrailler contre les notabilités en place et la bien-pensance («Leconte de Lisle ne leur appartient pas») soulignant les positions progressistes et abolitionnistes de Leconte de Lisle, publiant un de ses récits méconnus «Sakatove» dans Témoignages et dans Bardzour N°5 (1977). Boris écrit aussi des synthèses savantes de littérature comparée telle sa série d’articles consacrée à «Images et idéologie du cyclone dans la poésie réunionnaise» dans Témoignages en février 1980.
Leconte-de-Lisle-ne-leur-appartient-pas-Sakatov
Les Journées de la culture suscitées par le tout nouveau gouvernement Mitterrand donne l’occasion à Boris Gamaleya d’apparaître comme un penseur de premier plan en matière de politique culturelle. Ses positions ne sont pas si éloignées de celles que défend au même moment un autre poète, Mgr Gilbert Aubry (1978, Hymne à la Créole; Sois peuple mystique marronage, 1982). La revue Exote reprend le texte de l’intervention de Boris Gamaleya aux Journées de la culture (1982, «Préludez ancives des combats», intervention de Boris Gamaleya) dont voici quelques phrases magistrales : «La culture est ce front de pratique sociale dont la base est un peuple, peuple de la culture de la nuit… Peuple des changements à venir…» (p. 119). Il envisage «voir surgir cette île du possible, Morgabine du 3e millénaire, beau royaume de l’utopie concrète… Chronique d’une civilisation de miel vert à imaginer.» Son interview est éclairante : «La culture réunionnaise est encore en guerre. On est en plein combat» pour «Vive not koman nilé et not kisanilé». L’auteur choisit non pas dans l’absolu mais dans une histoire «de bruit et de fureur», «dans une île d’un tel gâchis qu’elle est comme à refaire de fond en comble» (p. 121). Il plaide pour la création de la revue plurielle Ansive qui sera un temps créée, puis recréée (Lansiv 1er trim 1984: comité de rédaction : Boris Gamaleya, Philippe Barret, Robert Gauvin, Pierrot Vidot, François St-Omer, Christian Barat, Idriss Banian, Carpanin Marimoutou, Daniel Honoré, etc. (préface du Préfet Levallois) pour s’éteindre tout à fait.
Préludez-ancives-des-combats-discours-1982-suivi-dun-entretien
Mais ce monde intellectuel bouillonnant est fait aussi de batailles. La revue Fangok, consacrée à l’histoire, la littérature, la langue (le réunionnais) et l’océan Indien avec Alain Armand, Anne Cheynet, Axel Gauvin, Robert Gauvin, Roger Théodora, tous des amis ou émules de Boris, nait d’une brouille passagère avec le poète. Ce dernier y écrit quelquefois. Et alors qu’un temps après, Boris représente La Réunion au Conseil national des langues et cultures régionales, il publie le 28 mai 1986 dans Témoignages un long article sonnant l’alarme : «Allons nous être digérés par l’autre ?». Son espoir du début des années 1980 aura été de courte durée